Répéter dans sa tête
Traduction : Jean-Damien Humair — Selon une étude, les étudiants de violons d’une HEM passent dans leur vie 10’000 heures à répéter. A ce niveau-là, la question n’est pas tellement de savoir combien de temps la personne consacre à son instrument, mais qu’est-ce qu’elle fait pendant ce temps-là. Petra Kessler, coach mentale, constate que peu de musiciens se demandent réellement comment ils doivent répéter. Ils travaillent sans but, surévaluent leur capacité de concentration et répètent trop longtemps, avec trop peu de pauses.
La croyance persiste que pour réussir, le musicien doit passer huit heures par jour à son archet ou à son clavier. Et pourtant, cette pratique n’est pas séculaire: jusqu’au 18e siècle, le travail à l’instrument consistait plus en des jeux d’improvisation et de détente. Ce n’est qu’au 19e qu’on a commencé à chercher la restitution parfaite de chaque note de la partition, avec le credo que seules d’incessantes répétitions permettent d’atteindre la perfection. C’est là aussi que les écoles de musique ont commencé à faire travailler les élèves à la maison entre deux cours.
Mais trop souvent, les musiciens répètent sans but. Ils sortent leur instrument et jouent. Lorsqu’un concert ou un concours approche, ils se concentrent uniquement sur leurs erreurs, et se créent une image négative d’eux-mêmes. Ils pensent devoir jouer sans aucune faute, comme sur un CD. Il y a quelques années, on disait même que le trac était dû à un manque de travail.
Petra Kessler s’est intéressée aux sportifs d’élite et a constaté qu’ils travaillaient beaucoup leur mental. Un slalomeur par exemple, visualise mentalement son parcours plusieurs fois avant de descendre. Les musiciens pourraient faire de même. Car pour le cerveau, faire un mouvement ou se le représenter mentalement revient au même.
Certains musiciens avaient compris cela avant que les neurologues l’expliquent. Dans sa biographie, le pianiste Walter Gieseking explique en 1963 déjà qu’il repasse en pensée les morceaux qu’il n’a plus joués depuis longtemps pour se les remettre dans les doigts.
Cet exercice nécessite une grande concentration. La représentation mentale du morceau doit être complète pour que le corps sache quels mouvements il devra activer.
Parfois, c’est la tête qui empêche certains mouvements, ou qui génère de mauvais mouvements qui se sont installés au cours des années. Une solution: mettre son instrument de côté et le visualiser. Le musicien prend alors de la distance et peut analyser plus précisément chaque mouvement.
La représentation mentale permet aussi d’économiser ses muscles et diminue les douleurs des répétitions incessantes, même si, cela va de soi, elle ne remplace pas le jeu véritable sur l’instrument. Comme le slalomeur qui, après avoir visualisé son parcours, finit quand même par s’attaquer à la piste.