
Conserver la musique: quand l’éphémère devint éternel
Ces quelques indications complètent l’article paru dans la Revue Musicale Suisse de septembre 2016.
La véritable histoire de l’enregistrement sonore ne débute qu’au 19e siècle, quand bien même existèrent bien auparavant des légendes (l’histoire de l’esclave du roi Midas par exemple), des anecdotes invérifiables (boîtes en bois reproduisant la voix parlée dans la Chine antique), des innombrables récits ou essais véritables de statues et d’automates parlants (parfois de simples procédés d’illusionnisme, mais aussi des mécanismes extrêmement complexes, comme l’automate Euphonia de Joseph Faber), des spéculations naïves (paroles conservées dans un long tube de plomb, selon Giambattista della Porta), des fantaisies littéraires (paroles gelées de Rabelais, boîtes-livres sonores de Cyrano de Bergerac), des affabulations (éponges reproduisant des messages, selon Vosterloch), sans compter de récents canulars concernant des sons retrouvés d’un lointain passé (sons fixés lors du tournage de poteries antiques). Quant aux instruments de musique mécaniques, leur principe est différent. Cependant, en Suisse, ce furent bel et bien des producteurs de boîtes à musique de Sainte-Croix qui fabriquèrent les premiers phonographes et gramophones helvétiques, en particulier Paillard dès 1898 et Thorens dès 1902, pour compenser les effets de la crise due à la concurrence des boîtes à musique bon marché, à disques métalliques interchangeables. Dans les décennies qui suivirent, les fabricants suisses livrèrent en majorité des composants tels que mouvements, bras, manivelles, etc. pour de nombreuses marques étrangères.
Théâtrophone
Durant toute la période où se sont développés les premiers enregistrements reproductibles, la musique par fil, qui se basait uniquement sur l’écoute en direct, fut un concurrent sérieux. Son histoire commence et finit en Suisse: le 19 juin 1878, l’adjoint de l'inspection des télégraphes Michele Patocchi, un des pionniers du téléphone, eut l’idée de retransmettre dans une salle voisine, par voie téléphonique, la représentation du Don Pasquale de Donizetti donnée au Teatro sociale de Bellinzona. En France, Clément Ader, ingénieur à la Société générale des téléphones avant de devenir pionnier de l’aéronautique, installa des micros à l’Opéra Garnier, à l’Opéra-Comique et au Théâtre-Français; des fils les reliaient au stand de la Compagnie, à l’Exposition internationale d’électricité de 1881, où les visiteurs purent entendre, par le biais d’écouteurs, les représentations en direct et en stéréophonie – alors que les disques à deux canaux n’apparaîtront sur le marché que dans les années 1950, malgré quelques essais antérieurs. Même si ses utilisateurs formaient une minorité de privilégiés, la diffusion par téléphone, ou théâtrophone, fut rapidement adoptée dans d’autres pays européens, en particulier en Angleterre, et des transmissions internationales furent même organisées. La (relative) démocratisation du téléphone accrut encore le succès du théâtrophone, qui disparut cependant progressivement entre le milieu des années 1920 et 1932, victime des succès du disque et surtout de la radio. Ce système survécut en Hongrie jusque dans les années 1940 et ne subsista, sous une forme différente, qu’en Suisse («télédiffusion», de 1931 à 1998), comme moyen de diffusion de chaînes radiophoniques sur réseau téléphonique.